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Je hais cette part de moi. Cette part, c’est elle. C’est son héritage. J’aurais envie de tout balancer. Tout. C’est surement pour cela que je ne veux plus la voir. Je l’avoue, c’est la part d’elle qui vit en moi que je ne veux pas voir. Je ne la supporte pas. Pourquoi ces hauts, pourquoi ces bas ? Pourquoi cette envie de tout arrêter, de faire valdinguer la voiture au fond du fossé ? Elle est tout l’inverse de toi, ton exacte opposée, jusqu’à vos dates de naissances qui sont, au jour près, inversée. Elle est cette part de lâcheté, cette part qui se veut éternelle victime du monde entier. Cette colère, cette méfiance, cette solitude. La dépression incarnée. Ce parfum de patchouli, de rose, cette odeur du vide. Ces yeux bleus délavés, encore capables d’observer le monde environnant, et de n’en retenir que les aspects les plus vils. A-t’elle vraiment un jour vu la beauté ? Peut-être seulement la sienne. Est-ce de là que vient son ego de femme blessée ? D’une vie à se subir ? A subir ses choix, sans jamais les accepter ? Comment cette femme si belle et pleine d’esprit peut-elle finir blasée, dépitée, terrée, isolée, ignorée dans cette maison, ce mausolée ? A-t’elle un jour seulement été vraiment heureuse ? D’aussi loin que je me souvienne, je ne l’ai jamais vu épanouie. Jamais. Des bribes de sourire, rapidement rattrapés par son air snobinard et médisant. Ou seulement, absent. Son mal-être, elle nous l’a refilé. Insidieusement, dans le sang. Condamnés.
Et ça me fait mal de l’admettre, mais il y a autre chose. De réellement beau. Son héritage spécial, seulement pour moi. Je ne parle pas des bijoux, dont elle n’a de cesse de me montrer où elle les a planqué : « tu sais, le jour où je pars, ils vont vouloir se servir », sans savoir qui se cache derrière cet immonde « ils ». Au-delà des bagues, les livres. Partout. Les étagères en croulent. Les livres, l’amour des livres, de la philosophie, des histoires, vient d’elle. Cette façon de partir à l’aventure au travers de la littérature, cela vient d’elle. Cette façon d’y trouver un refuge, âtre chaleureux au milieu de la tempête. Cette façon de s’y plonger pour s’abriter de la monstruosité qu’est la réalité. Je n’avais pas fait le lien. C’est probablement notre seul point de commun. Que l’on n’aborde que très peu : je l’ai dit, je ne la supporte pas. La réalité, c’est que j’ai peur de finir comme elle. Que peut-être j’arrive à comprendre plus facilement que je ne voudrais bien l’admettre les décisions qui ont façonné la toile de sa vie, araignée toujours prête à cracher son venin autour de son unique progéniture.
Ecrivant ces mots, je réalise qu’ils sont faux. Je n’ai pas peur de finir comme elle. Je ne suis pas comme elle. C’est cela, n’est-ce pas, la confiance en soi ? Ne plus craindre, simplement parce que l’on sait. Savoir, c’est pouvoir. Ce sont les effluves de patchouli et de rose qui me font peur. Non pas qu’elles durent. Cela dépend des vents. Si seulement je résistais au vent. Mais l’on ne peut pas s’ériger contre un élément. Parfois, je me demande. Souvent, même. A l’écouter, à l’aube de sa maturité, s’est présenté un choix. Elle le revendique : elle a fait celui de l’argent. Si seulement elle avait eu une boule de cristal… Aurait-elle eu un aperçu du lot d’emmerdes que l’illusion de l’argent facile avait allumé qu’elle aurait fait différemment ? A l’écouter, non. Le choix s’est-il avéré plus complexe ? Certainement plus qu’elle ne le dit. C’est toujours le problème avec elle. Démêler le vrai du faux. Autre chose dont j’ai horreur. Elle partira avec ses secrets. Pour en revenir à moi, moi, moi et encore moi, peut-être que je devrais la remercier. Pour cette part de Doude qui vit en moi. Les avantages et les inconvénients. Serais-je moi sans ses deux extrémités ? Probablement pas. Ne me reste plus qu’à m’en accommoder.