08.12 : Écrire

Je comprends désormais les plaques sur les maisons où des chefs-d'oeuvres ont été réalisés. L'environnement compte. Je suis heureuse : j'ai trouvé mon spot pour l'hiver.

Overthink a Minute
9 min ⋅ 08/12/2024

Mon bureau du jour est indécent de beauté : la neige s’est invitée dans le tableau, chargeant délicatement le grand sapin faisant face au vide. Mon thé est à portée de doigts, pour les instants où ils auraient besoin d’un peu de chaleur. Des choses à faire, j’en ai 1 000. Mes carnets trainent autour, un livre aussi, les lunettes négligemment posées tantôt sur le nez, tantôt à côté. Je passe d’un carnet à l’autre : l’un pour écrire la moindre petite pensée, l’autre pour inscrire les actions à réaliser. L’objectif ? Se réorganiser. Se recentrer. Ecrire. N’ayant pas de sujets de prédilection à l’instant, je me replonge dans mon atelier. Je l’ai déjà mentionné : je suis actuellement un atelier d’écriture. Je l’avais délaissé quelques temps, lui et l’écriture de façon générale, ne rédigeant plus que de façon sporadique. Et puis ça m’a manqué. C’est toute la cruauté de la passion : trop forte parfois qu’on a besoin de s’en éloigner, mais tellement dévorante qu’on finit toujours par y revenir. Il en va ainsi de l’écriture pour moi : désormais, elle fait partie intégrante de ma vie. Je ne peux plus m’en passer, quand bien même elle semble souvent peser de tout son poids sur mes épaules. J’ai beau me débattre comme une belle diablesse, elle s’impose, avec perte et fracas ou à grands coups d’éclat. Pourtant, nulle question de fatalité : c’est un fardeau que j’accepte avec joie, que je reconnais me placer toute seule, que je laisse, tant bien que mal, me définir petit à petit. C’est d’ailleurs pour ça que j’avais commencé cet atelier. Au début, comme à mon habitude, je m’y suis attelée avec le plus grand zèle, réalisant tous mes exercices et ce, le plus vite possible. Comme souvent dans ce que j’entreprends, la notion de temps semble être mon ennemi principal : généralement trop lent, parfois trop rapide. L’objectif primaire et relativement simple qui était de suivre cette formation a alors évolué : finir la formation. Peu importe si c’est bâclé. Tout à ma culpabilité des jours passés à vouloir rattraper mon retard, j’ai donc consommé l’information, telle une boulimique, tentant tant bien que mal de bourrer mon cerveau comme une oie pour le foie gras de Noël. J’ai beau adoré ça, je ne peux qu’admettre que le traitement est barbare. Il en va de même pour mon cerveau. D’autant que finalement, il est bien beau d’écouter des romanciers à succès évoquer leurs pratiques et rituels d’écriture, ils s’accordent néanmoins tous sur un point : c’est l’action qui fait le larron. Autrement dit, le secret pourrait se résumer en une phrase de 3 mots relativement simples : écrire, écrire, écrire. Le génie ne s’invente pas : il se crée. Je me suis donc référée au premier exercice que je n’ai pas fait à savoir une nouvelle autour du sujet : pourquoi j’écris. Je l’avais écarté, me convainquant que les deux phrases écrites étaient largement suffisantes. Que dis-je, deux. En fait, une : « j’écris parce que ça me permet d’organiser mes pensées, de vider mon sac, et d’avoir l’esprit plus clair ». De la retranscrire, je suis hébétée devant tant d’inutilité et de paresse. L’avantage, c’est que j’arrive toujours à m’étonner et même plus, à m’épater, tant pis si c’est dans le mauvais sens. Au moins, je ne m’ennuie pas. Enfin, il n’empêche que le sujet mérite d’être exploité. Pourquoi j’écris ? D’où me vient cette envie ? 

Collège de Bourg-Saint-Maurice, un hiver. Les néons éclairent de leur lumière jaunâtre la salle aux murs colorés. Dans la salle, une vingtaine d’ados, penchés sur leur copie, dans le silence le plus total. Le professeur ne les regarde pas. Que fait-il ? Pas d’ordinateur encore à l’époque, pas de possibilité d’écumer les réseaux sociaux, un site d’outillage ou un site d’agence de voyages pour la prochaine quinzaine. Il corrige probablement d’autres copies, en attendant que de nouvelles viennent s’entasser sur le bureau. Pour le moment, les élèves butent sur une rédaction. Le sujet ? « Rédiger une lettre d’un soldat de la Première Guerre Mondiale à sa famille ». Sur la feuille de brouillon, les mots s’enchainent. Pas de plan : le stylo semble glisser tout seul sur le papier. Le nom des personnages me vient facilement, l’histoire que je veux raconter aussi : c’est une lettre de Jean à Louise, sa fiancée. Jean raconte, l’horreur des tranchées, la boue, le froid, les rats, la peur au ventre, le décharnement, la misère humaine. Jean dit, son espoir, son espoir de rentrer, de la retrouver, elle, sa chaleur, ce sentiment d’être chez lui lorsqu’il est avec elle, elle, qui est sa force. Quelques modifications par-ci, par-là, puis mise au propre. Je place la copie sur le coin du bureau, sans la relire. J’y ai passé suffisamment de temps comme ça, ça passe ou ça casse, je ne vais pas chercher à l’améliorer plus qu’il n’en faut. Je regarde autour de moi, jetant un oeil à l’horloge : il reste 5 minutes. Je mets toujours un point d’honneur à finir 5 minutes avant. Déjà un combat contre-la-montre. Le professeur commence à s’animer : « il vous reste 5 minutes ». Il me regarde : « pour ceux qui auraient déjà fini, pensez à bien vous relire ». Cause toujours, tu m’intéresses. C’est toujours le même refrain avec eux. Il faut toujours qu’ils soient condescendants. Non, je ne me relirai pas. La cloche sonne, je range mes affaires, donne ma copie et sort pour le prochain cours. 

Quelques jours plus tard, il nous rend les copies. Mon nom résonne dans la classe. Le professeur s’approche et me glisse : « bravo, c’était excellent ». Excellence qu’il a estimé, sur un maximum de 20 points, à 17. Et ben voilà, je savais que ça ne servait à rien de se relire. Mon ego est tout de même un peu touché : il ne m’a mis que 17 parce qu’il y avait 2-3 erreurs d’orthographe. Vraiment ?! Et puis, les copains demandent les notes. Je réponds, 17, gênée, sans m’étaler sur le sujet. Le soir, je rentre, sors ma copie, la montre à maman : « Jean et Louise ? Tiens, c’est marrant, comme les grands-parents de papa ! ». Ah oui, c’est vrai. Je n’avais même pas remarqué. J’ai du piocher ça dans mon inconscient - je lis actuellement une biographie de Carl Jung, psychiatre suisse du XX° siècle et disciple de Freud, où j’ai appris que beaucoup d’artistes, y compris Victor Hugo, ont usé de leurs inconscients pour booster leur créativité. Encore aujourd’hui, ma mère a conservé cette copie, avec quelques autres. Il m’arrive de temps en temps de les relire, dans un mélange de gêne, presque de honte, d’amusement, et d’intérêt psychologique. 

Voilà mon premier souvenir d’écriture. J’imagine qu’il y en a eu avant, mais je mentirais si je disais m’en rappeler. Au lycée, en français, dans le sempiternel choix entre rédaction, commentaire de texte ou dissertation, je choisissais toujours la rédaction. J’étais souvent la seule. Mais je préférais. Après tout, ça me demandait un bien moindre effort que le commentaire de texte. Autant chercher à décortiquer mon propre esprit que celui d’un autre. Dans les autres matières, on notait souvent mon aisance rédactionnelle, sans pour autant s’étaler dessus. Puis la fac de droit. Même constat : elle s’exprime bien à l’écrit. C’est un point important en droit, où chaque mot est susceptible d’être interprété. C’est ce qui me plaisait et qui me dérangeait à la fois : l’important était de se rapprocher du sens initial de la loi, et non pas du sens de la justice. Les petites juridictions tentent tant bien que mal d’appliquer davantage un certain sens de la justice mais les plus grosses juridictions, soumises par une pression politique plus importante et soucieuses de ne pas créer de précédents, sont plus limitées dans leur champ d’action. On le voit par exemple récemment au procès de Mazan. Les avocats de la défense jouaient sur la qualification pénale du viol, marquée par l’intention de violer, arguant que ces hommes n’avaient pas eu intention de violer à partir du moment où ils se sentaient légitimés par l’autorisation du mari. En termes de manipulation mentale, les mecs sont bons. Et puis il y a eu le master, avec des cours de journalisme du sport, parallèlement à mon stage chez OSV. Mon tuteur de stage, Victor, avait rapidement vu que je me débrouillais en rédaction. Les articles du blog concernant l’évènementiel étaient donc une de mes missions principales. Ça le faisait toujours rire, parce que le back office du site notait les textes : si trop de répétitions, trop d’erreurs de syntaxe, le baromètre était rouge. A l’inverse, le baromètre affichait vert. Mes textes étaient toujours verts. Toujours. Je pouvais aussi balancer des petites punchlines en réunion, ce qui l’amusait beaucoup. C’était une bonne année. 

Ecrire - véritablement pour moi - a été un processus plus long, corrélé à une redécouverte de la lecture. Petite, je dévorais les livres. Avec le droit, je lisais beaucoup moins. Je me tapais déjà suffisamment de lecture dans la journée pour avoir plutôt envie de me tourner vers un film lorsque j’avais deux minutes. Il y a eu ensuite cette saison post-études, où j’ai repris doucement lecture et écriture. Pour autant, pas question d’en parler, encore moins de me faire lire. Ça, ça va prendre un peu plus de temps. En fait, la première « matérialisation », c’est l’introduction du dossier hors-pistes de Nono pour son final. Une page évoquant le rapport à la montagne, au ski en dehors des « limites » et son rapport à tout ça. Ça m’a beaucoup amusé de faire ça. Je devrais le relire d’ailleurs. Je ne m’étais pas encore vraiment définie dans le style : il s’agissait de quelque chose d’assez lyrique, se rapprochant de mes lectures d’alors, plus solennelles. Petit à petit, une idée me revient : pourquoi ne pas créer un blog, et « balancer » mes écrits ? « Balancer » parce que je ne sais pas vraiment le qualifier autrement : je ne sais pas vraiment quoi faire de ça, je n’arrive pas à y trouver une utilité particulière, j’ai juste envie de poser ça là et et de partir en courant sans que Pierre, Paul ou Jacques ne me donnent leur avis. Je sais seulement que j’ai envie de partager mes états d’âme, sans échanger dessus. Alors je me lance sur Instagram, dans un format directement inspiré de @philosophyissexy. Sans chercher à le développer. En fait, je n’en parle d’abord à personne. Il me faut toujours du temps - ennemi public n°1 décidément. Je finis par cracher le morceau à mes copains très très proches, l’alcool aidant. Celui-là, force est d’admettre qu’il m’aura sorti de mon intériorité à bon escient plusieurs fois. De là, par la magie des algorithmes, je découvre d’autres auteurs. Pas de romans. Mais de posts. Des formats courts et percutants, comme @lesmurs_ecrits, ou @formelibre_. Ça, c’est ce qui me parle le plus finalement. Je n’arrive pas à me poser suffisamment longtemps sur un seul et même sujet pour m’engager dans l’aventure du roman. Et puis à ce moment-là de ma vie, c’est le bordel dans ma tête. C’est franchement pas la grande forme. Je coupe purement et simplement les ponts avec une de mes meilleures amies, avec qui j’étais partie plusieurs fois en voyage, et avec qui je vivais cet hiver-là. Sans rien dire. Ça m’a épuisé, tout l’hiver, de ne rien dire à personne. De ne pas dire au taf qu’ils me font franchement chier, de ne pas lui dire à elle qu’elle n’a pas à me « tolérer », juste à m’accepter, de ne pas dire à ce mec que j’ai un énorme crush sur lui, de ne jamais dire non à tout ce qu’on me propose de faire, de ne pas savoir poser des limites, surtout à moi-même. Sur certains points, j’ai fini par arriver à m’exprimer et j’ai vu, du coup, à quel point ça pouvait faire du bien. Pour d’autres sujets en revanche, je n’ai pas trouvé le courage. Peut-être parce que j’estimais que ça n’en valait plus la peine. Toujours est-il que quand chacune est partie de son côté, sans un regard ou une parole, je crois, avec du recul, que j’ai eu besoin de m’exprimer, de sortir tous les mots qui m’étouffaient.

J’ai écrit, quelques posts un peu random. Nourris par la peur, l’anxiété, la culpabilité, le manque de confiance global. L’été est arrivé, j’ai beaucoup bossé, eu moins le temps de rédiger du contenu à partager. J’ai priorisé le journal intime, celui qui sait tout de moi, et auquel j’ai pourtant du mal à confier certaines parts de moi. J’étais bien trop mal dans ma féminité pour l’assumer au grand jour, quand bien même il n’y ait que 2 personnes pour me lire ou le plus grand des inconnus. Et puis, progressivement, c’est revenu. L’été s’était terminé, tout comme le boulot. Les vacances ont commencé : le Portugal, l’Espagne, avec deux de mes amis les plus proches. En un mois de plage, de surf, de visites, de voiture, d’envolée chevaleresque, de tapas, de cervezas, de découvertes, je lis 6 bouquins. Dès que je peux. Ça me requinque. J’arrive à remettre de la perspective. Je reprends le stylo, et cette fois-ci, pas pour m’accabler. Plutôt pour ancrer des objectifs dans la matière. Ça ressemble plus à un journal de développement personnel, pour ce que ça signifie, avec des affirmations, des mantras et tout le tralala. Très honnêtement, je doute de la pertinence de tout ça. Non pas que ça ne serve pas dans l’absolu. Mais c’est surtout qu’il faut une certaine intention derrière. Rien n’est magique. Bref, toujours est-il que j’ai réussi à me remobiliser et à sortir du trou dans lequel je m’étais enterrée. Le reste appartient à l’histoire. C’est surtout qu’à un moment, j’ai compris que, comme la philosophie peut-être sexy, les écrits aussi. J’avais pas compris que ça pouvait conférer une certaine aura à mon visage anguleux et mon derrière imposant.

On a donc refait l’histoire de l’écriture pour ma chère personne. Ça ne répond pour autant pas au pourquoi. Pourquoi j’écris ? Dans les prémices sont distillés des indices. D’où le flashback, et les formulations à la Yoda. Si l’on en suit l’ordre chronologique, et qu’on s’allie pour une fois au temps, il y a une envie de raconter. Une facilité à raconter des histoires. Ancrées dans le réel. Loin de moi l’idée d’inventer un monde à la Harry Potter ou Game of Thrones. Je me place plus volontiers dans la lignée de romanciers plus « auto-centrés », comme Emmanuel Carrère. Je crois que chacun nait avec un « talent », depuis que j’ai lu « Message des hommes vrais au monde mutant » de Marlo Morgan. Passionnée par les tribus aborigènes, c’est l’une des seules « occidentales » à avoir vécu auprès d’une tribu primitive, aventure dont elle fait le récit dans son livre. Ça suppose donc que notre rôle dans la société se limite à ce pour quoi on a des facilités. On peut buter sur la notion de facilité, mais ça ne veut pas dire que cela ne demande pas d’efforts. Après tout, même Mozart a dû travailler pour exceller. 

Mais de raconter à qui ? Au début, à moi. Quoique, non. En fait, j’ai oublié un point important. C’est que j’écrivais aussi pour exprimer ce que je ressentais aux autres. S’exprimer à l’oral a toujours été assez compliqué, et passait souvent par le passage de la colère. Et la colère est rarement l’émotion avec laquelle on s’exprime le mieux. C’est plutôt un bain de sang, où tout se mélange. Du coup, j’écrivais des lettres, que je déposais un peu au hasard dans la maison. Sinon, c’était des SMS. C’est toujours le cas un peu maintenant, quand j’ai peur, quand je n’ose pas, quand c’est trop d’émotions pour moi. Jamais évident de les gérer celles-là. C’est peut-être dû à un certain perfectionnisme, où il faut dire tout ce que j’ai à dire, et de la bonne façon. Je devrais peut-être me laisser aller à davantage de spontanéité. En même temps, la spontanéité ressort par la colère, et j’ai un peu peur de moi dans ce cas-là. Je peux aller loin, trop loin. 

Et puis j’aime écrire aussi pour moi. A mon unique destination. Dans la même idée finalement, idée que j’avais développé dans ma seule et unique phrase initiale : inscrire mes pensées sur le papier pour faire le vide et avoir l’esprit plus clair. Chose qui s’avère profondément thérapeutique, d’autant plus quand je reviens dessus. De temps à autre, ça me fait du bien de relire ce que j’ai écrit. Ça va même au-delà : c’est une des choses les plus réconfortantes que j’ai trouvé. Je ne sais pas franchement pourquoi. 

Enfin, il y a eu cette envie de partager à une plus grande échelle. Pas seulement à un destinataire unique, mais à plusieurs. De s’exposer. Peut-être pour me mettre en danger, d’une certaine façon. Peut-être pour me faire voir au fond. Enlever un peu le mystère que je cultive autour de moi. Montrer ce côté plus intellectuel. Mais surtout raconter. Raconter, exprimer ce qui se passe, les réflexions qui peuvent se faire. Pour moi, pour les autres, peu importe. Finalement, le destinataire importe peu. Quel est le but derrière ? Être lue. Indéniablement. Créer un véritable projet. Un truc qui compte. Laisser une trace. Exister. En se détachant de toute notion d’utilité. Parce qu’au fond, ça ne sert à rien. L’art, dans sa grande globalité, n’a pas d’utilité. C’est même l’un des critères de qualification d’un objet artistique par rapport à un autre. - J’avais écrit une super rédaction à ce sujet, où j’imaginais un débat portant sur une oeuvre de Marcel Duchamp, « Roue de bicyclette » et un douanier américain, qui ne savait pas, le pauvre, comment taxer l’objet : comme oeuvre d’art ou comme objet ? - Je crois en effet que l’art n’a pour unique vocation que de laisser une trace, d’agir comme témoin de la présence humaine, qu’il s’agisse d’une oeuvre éphémère comme les collages de JR, ou certaines recettes de cuisine (à ce sujet, les débats légaux valent le détour) ; ou pérenne comme n’importe quel bâtiment, ou certaines peintures (il n’y a qu’à voir Lascaux). Et ce, peu importe que l’oeuvre soit perçue à l’échelle de l’humanité ou à celle de son unique auteur. Alors, je clôturerais cet exercice par une simple constatation, que Descartes pourrait m’envier : j’écris parce que je suis. 

Overthink a Minute

Par Zoé André