15.05 : les lettres

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Overthink a Minute
4 min ⋅ 15/05/2025

Cordialement,

Zoé André 

Pas de point final. C’est peut-être ça la beauté des lettres. Il n’y a jamais de point final. Elles invitent nécessairement et factuellement à poursuivre éternellement la conversation. C’est un temps que j’aurais apprécié. Celui où l’on ne se préoccupait pas d’avoir du réseau, plutôt que d’avoir un bureau de poste proche. Un temps où la communication, plus lente, plus fragile, consistait en des tartines. Cette générosité ne se ressent plus dans nos misérables messages. Plus de bonjour, plus de formules de politesse. Souvent, on oublie même de répondre, submergés par cette instantanéité de la prose abrégée, comme si l’on devait se montrer, en tout temps, en tout lieu, absolument disponible à l’autre. C’est usant. C’est terrifiant. Le manque de notifications signifie-t’il que personne ne pense à nous ? Je ne crois pas. Mais je peux comprendre que cela fasse crever d’angoisse certains. 

Souvent, je m’imagine vivre à une autre époque. En cela, j’aurais adoré être actrice. Ou vivre un retour dans le passé, davantage version « Minuit à Paris » que « Terminator ». Oh, oui, j’en aurais écrit des lettres. Et qu’est-ce que j’aurais aimé en recevoir. Je m’imagine, à la lueur d’une chandelle, l’odeur de l’encre qui teinte les doigts, le bruit de l’enveloppe que l’on scelle. Les doigts fébriles au moment de l’envoi. L’attente, l’attente dévorante au creux du ventre. Le coeur qui bat la chamade à la réception. Là réside mon idéal romantique. A l’ancienne, et alors ? Il y a beaucoup de belles choses à retenir de l’amour de l’époque. Un engagement sans faille. Une capacité à réparer plutôt qu’à remplacer. Le désir des débuts réfréné pour mieux construire. Je me souviens qu’à l’instant où les cendres touchaient la surface de l’eau, ma grand-mère jeta la correspondance qu’elle avait entretenu avec mon grand-père avant leur mariage. Les lettres coulèrent plus vite que lui. C’est probablement le seul moment où j’ai vu de l’amour dans ce couple d’éternels enfants, si distants à la fin. C’est probablement la première fois où j’ai vu à quel point l’écrit pouvait sacraliser une relation. Quoique, il y a un souvenir encore plus ancien. Je me souviens d’une lettre de mon arrière-grand-père à son épouse. Il lui confessait tout l’amour qu’il lui portait, son bonheur de partager sa vie, sa fierté d’avoir d’elle un fils, mon grand-père. Alors élève de 3ème, ça m’avait inspiré une rédaction de français au thème épistolaire et romantique. J’avais nommé mes protagonistes Jean et Louise, comme eux, sans vraiment m’en rendre compte. C’est mon père, a posteriori, qui m’avait fait remarqué l’évidente similitude. Décidément, on ne se rend pas toujours compte à quel point les choses les plus insignifiantes peuvent nous marquer. 

J’adorerais avoir des tas et des tas de lettres qui s’entasseraient dans un coin, ramassées avec un beau ruban vichy. Ou sur un vieux cabinet au tiroir solitaire que j’aurais brossé. En ressortirait un bois blond, presque rose à la faveur de la luminosité du soir. Je m’installerais dans un fauteuil design en cuir, l’ordinateur au centre, un stylo plume, quelques Bic l’entourant, une bougie au santal s’agitant allègrement. Là, à toute heure du jour et de la nuit, j’écrirais des lettres derrière mes lunettes. Aux gens que j’aime. Du romantisme, de l’amour, de l’amitié, j’en tartinerais des pages et des pages, sans me préoccuper du temps qui passe, feuilletant au passage l’un des nombreux livres empilés. J’ai lu récemment une interview de Miguel Bonnefoy, romancier franco-vénézuélien, qui évoquait à quel point les lectures du romancier influaient son travail d’écriture. Exemple : en lisant son « Rêve du Jaguar », on peut se demander s’il ne lisait pas « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez. Je lis depuis ce matin le dernier Beigbeder. Et mon texte est exempt de toute vulgarité. La théorie n’est peut-être pas si juste finalement… J’exagère, ce roman-là est assez soft. Peut-être parce qu’il s’agit de l’histoire de son père. Un enfant, même adulte, craint toujours son parent, même vieux, même mort. Enfin, si je m’inspirais de Bonnefoy, j’écrirais une lettre qui inviterait à écrire à plusieurs mains d’autres histoires (ce que j’ai fait dans mes lettres de motivation finalement…). Si je m’inspirais de Beigbeder, j’écrirais une lettre qui inviterait à vivre en s’en battant les couilles, à boire du champagne et à fumer des grandes clopes, puisque nous sommes condamnés. Heureusement que la rédaction de ma lettre de motivation se corrélait au « Rêve du Jaguar »… J’espère que les entreprises contactées voudront bien poursuivre cette conversation. 

J’en suis donc là de mes réflexions. C’est que je dois drôlement me faire chier, pour arriver à élucubrer sur des lettres que je n’écris ni ne lis. Que voulez-vous, pour le moment, je rêve ma vie plutôt que de vivre mes rêves. Je travaille activement à inverser la tendance, promis. D’où une obsession marquée pour une phrase de Sylvain Tesson, que j’ai lu récemment : « C’est un rêve, un jour, ce sera un souvenir. Entre les deux, j’en ferais un voyage. » Obsession qui trouve potentiellement ses racines dans ce questionnement viscéral qui m’occupe l’esprit depuis quelques temps maintenant : quel est le sens de la vie ? Tesson aurait-il trouvé la réponse ? Serait-ce le voyage, à mi-chemin entre rêve et souvenir ? Peut-être bien. Ma mémoire, elle, s’était méprise, et avait retenu « aventure » plutôt que « voyage ». En latin, « aventure » signifie « ce qui doit arriver », invitant le destin à la fête (ce qui est plutôt drôle dès lors que l’on pense à la définition moderne de l’aventurier). Le voyage, lui, ne semble obéir qu’à notre propre volonté. Mon esprit, en toute innocence, préfère donc y mêler le destin. Intéressant. Je crois encore et toujours à la chance, au coup de pouce. Ou plutôt que les choses se déroulement toujours comme elles doivent se passer. De naïve à fataliste, il n’y a qu’un pas. Et quelques lettres. 


Overthink a Minute

Par Zoé André