01.05 : l'Odyssée

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Overthink a Minute
5 min ⋅ 01/05/2025

Il y a un an maintenant, ou à peine à peu près, démarrait l’une des périodes les plus intenses de ma vie. Non pas qu’il se soit passé grand chose en terme d’évènements : Palestiniens et Israéliens se faisaient déjà la guerre, tout comme Russes et Ukrainiens ; Trump n’était pas encore réélu ; la météo ne nous gâtait pas franchement ; le Festival de Cannes allait bientôt ouvrir sa 77ème édition. Et pourtant, dans ma vie, c’était un raz-de-marée qui se préparait. Là non plus, on ne peut pas franchement dire qu’il y eut d’évènements notables, si notables à créer une onde de choc qui se répercute encore maintenant. Et pourtant. Sans le savoir, sans pouvoir vraiment l’anticiper, l’eau avait déjà commencé, doucement, à se retirer. Il parait qu’on ne le note pas vraiment, que l’eau se retire, avant que la vague ne déferle. Et pourtant. Imperceptibles, les faits sont là. Oui, il y a un an, sans le savoir, des sentiments que j’avais jusqu’alors bloqués, enterrés, bannis, interdits, allaient me submerger, ne laissant plus qu’un goût amer et toute une personnalité à reconstruire. Mais que le lecteur se rassure : j’en dispose de multiples. J’ai donc pu me reposer sur d’autres le temps de reprendre pied. Et j’ai repris mon appétit.

Il y a un an donc, j’ai laissé quelqu’un me plaire. Je l’ai laissé me plaire, et je l’ai laissé, cahin caha, rentrer dans ma vie. Complètement forcée par le destin. Je sais que cela peut paraitre étrange et pourtant. Je n’ai pas vraiment eu le choix. Rapide et incisif, laissant à peine le temps de reprendre son souffle, l’engrenage était lancé, à défaut de l’embrayage. N’ayant plus aucun contrôle sur leur déroulement, j’ai laissé les choses se faire. La marque du destin semblait tellement forte que je ne voulais pas l’entraver, si tant est que j’avais pu. Je n’en étais pas moins terrifiée. Tout m’apparaissait lunaire. Au fond de moi, la plus étrange des sensations, partagée entre bonheur, amusement, et inconfort total. Parce que la vérité était là : laisser quelqu’un me plaire, c’était me mettre dans une position d’inconfort. C’était sortir de ma zone de confort. On parle souvent des gens qui ne savent pas être seuls, mais jamais vraiment de ceux qui savent. De ceux qui savent, et qui ne se permettent pas de se faire enlever une once d’indépendance. De ceux qui savent et qui ont fichtrement peur de se perdre. De ceux qui savent et qui refusent de se sacrifier pour l’autre. De ceux qui savent, mais qui ne savent pas. En réalité, il y a beaucoup plus de similitudes entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas être seuls que ce que l’on pense. Des similitudes qui ne tiennent qu’à un seul mot, qu’une seule sensation, tapie au plus profond des entrailles, et qui peut-être le meilleur des indicateurs comme le pire : la peur. Peu importe ce qu’ils craignent, s’engager envers une personne est toujours un risque que l’on accepte de prendre, ou non. Je préfère l’anglicisme ici : plutôt que prendre un risque, take a chance. Comme dans la chanson d’Abba. Différence sémantique qui change toute la perspective autour du fait d’oser, à mon humble avis. Enfin. S’engager envers quelqu’un, ou une quelconque cause, c’est s’engager sur une nouvelle voie. Et la nouveauté fait peur. Indéniablement. C’est là que, en plus de ceux qui savent être seuls et ceux qui ne le savent pas, se dégage une nouvelle catégorie : ceux qui foncent, malgré la peur, et ceux qui reculent, retenus par les méandres du passé, par l’anxiété autour de l’avenir, par un besoin intarissable de contrôle et de réassurance, oubliant seulement que ce n’est qu’en essayant que l’on sait. Tout comme ils savaient être seuls, ou en couple. 

Il y a un an donc, je me suis laissée emporter dans l’inconfort. Beau propre. Je n’en dormais pas. Sur le moment, j’étais tiraillée entre l’apaisement que je pouvais ressentir à simplement être et discuter avec quelqu’un qui m’appréciait pour ce que je suis réellement, et l’inquiétude que je pouvais ressentir à simplement être et discuter avec quelqu’un qui me voyait pour ce que je suis réellement. C’était trop beau pour être vrai. Je ne pouvais pas mériter cela. Avec du recul, se dire qu’on ne le mérite pas est toujours plus simple que se dire qu’on y a droit. Ça nous laisse la possibilité perverse et délicieuse de tout foutre en l’air, puisqu’après tout, on n’est pas grand chose. Pas besoin de viser les étoiles quand on est un cafard. Pas question de se mettre en danger quand on peut rester bien tranquillement dans son canapé, à regarder le monde à travers le prisme des images. Et, au-delà de la notion de mérite, quelqu’un qui vous voit pour ce que vous êtes, et qui vous rejette, là, là est l’abandon le plus total. Plus question de se cacher derrière des excuses : si la personne ne vous aime pas, c’est véritablement pour vous. Parce que vous ne lui correspondez pas. Des petites voix internes acides diraient même : « parce que tu n’es pas à la hauteur ». Mais ce n’est pas le pire. Le pire, c’est quand quelqu’un vous voit pour ce que vous êtes, et vous accepte pour cela. Là, c’est un état d’urgence permanent. Un piédestal où l’on se place soi-même et dont on ne doit pas tomber. Pour ne pas décevoir l’autre, pour ne pas risquer de le perdre. On se retrouve obligé d’être constamment la meilleure version de soi-même. Quelle exigence. Quelle pression. On comprend mieux pourquoi certaines personnes tuent leurs grandes histoires dans l’oeuf. Se sabordent. S’auto-sabotent. Oui, du haut de mes 27 ans, et de ma position de femme blanche privilégiée, je le dis et l’affirme sans honte : la peur de réussir est bien réelle. Peut-être réservée à une classe particulière d’enfants trop gâtés qui développent une forme affligeante et pathétique d’anxiété. Mais réelle. 

Il y a un an donc, débutait une année où la moindre de mes croyances allaient être chamboulées. Ce n’est même pas que les cartes ont été rebattues. C’est tout le jeu qui a changé. Tout ce que vous venez de lire sur les peurs, et les zones de confort et d’inconfort a sensiblement et durablement été modifié. Comme une virgule que l’on rajouterait à un texte de loi, et qui en modifierait profondément le sens. Cela semble difficile à croire pour des non-juristes et pourtant. Tout ajout d’une virgule, ou modification d’un « à » à « de » peut changer drastiquement l’interprétation d’une phrase. C’est sûrement de là que me vient mon amour de la ponctuation. C’est de là aussi que me vient mon amour de la simplicité, et un besoin très net d’y recourir de plus en plus. De se simplifier la vie. De se dire, « ok, j’ai peur mais ça va aller, je vais y aller, je vais oser ». YOLO. Parce que la vérité, c’est que tout le monde a peur. Pas plus, pas moins. Et foncent. Ou pas. Cela dépend. Mais certaines choses, malgré tout, même si elles semblent incertaines, qu’elles ressemblent trop à une situation que l’on a déjà vécu, qu’elles paraissent trop compliquées ou trop simples sur le moment, peuvent en valoir la peine. En valent la peine. On ne sait jamais sans avoir essayé. Oui. Si le petit rat de bibliothèque que je suis a compris une chose et pas des moindres cette année, c’est bien celle-là. La formidable aventure éprouvante, merdique, belle et enrichissante qu’est d’essayer. Un peu comme Ulysse, dans l’Odyssée. C’est peut-être pour ça que le bouquin est internationalement et multiséculairement connu : parce qu’il nous apprend que sur les flots de la vie, rien ne sert de lutter. Vivons nos aventures, nous finirons toujours par rentrer. 

Overthink a Minute

Par Zoé André