05.01 : Paloma

Flaubert, Despentes, Zola… chacun, à sa façon, sa Comédie Humaine. Pourquoi ne pas en débuter une ? Commençons par Paloma.

Overthink a Minute
6 min ⋅ 05/01/2025

Paloma est née à Paris, d’un père avocat et d’une mère au foyer issue d’une famille de la bourgeoisie. Père ambitieux, il comprit rapidement que pour atteindre une totale réussite sociale, il devrait se marier dans la haute. Qu’importe l’amour. Pourtant, à l’époque, il y avait une femme. Une femme qui l’aimait, qu’il aimait. Tous deux se connaissaient depuis leur plus tendre enfance. Ensemble, ils étaient sortis de l’amas putride que représentait la ville où ils avaient grandis. Ensemble, ils s’étaient affrontés, à la loyale, se tirant toujours vers le haut, sur les bancs de la fac de droit. Ensemble, ils s’étaient fait embauchés comme collaborateurs d’un des plus prestigieux cabinets parisiens. Et voilà qu’on lui avait proposé, à elle, de devenir associée. L’ensemble des confrères ne semblait parler que d’elle. Ce qui avait longtemps été la plus sincère des admirations s’était alors transformée en une jalousie féroce, qui atteint son paroxysme lorsqu’on lui proposa un poste dans la firme new-yorkaise du cabinet. Elle avait négocié pour lui un poste de collaborateur à New York. Dévoré par l’orgueil et la vanité, il s’afficha aux bras de la plus futile des mondaines bien-nées de la capitale, infligeant à son éternelle alliée la plus humiliante des trahisons. Elle s’envola vers son rêve américain, pour ne plus jamais revenir. Lui épousa la mondaine, lui jurant fidélité, admiration et soutien. Mais un coeur brisé est bien incapable de la moindre des promesses. Au moins avait-il acquis une entrée en or dans la haute-société, lui permettant de décrocher de juteux contrats, qui eux permettaient de financer le couteux train de vie du couple. Maison de campagne dans le Perche, villa à Bidart, chalet à Megève… Souvent, cet enfant de mineur se pinçait lorsqu’il se réveillait dans ses draps de soie. Etait-ce vraiment sa vie ? Il se tournait alors, observait le visage de sa mondaine épouse, cherchait désespérément une lueur d’amour dans son coeur, sans rien y trouver. Pris de remords, il se mordait alors les lèvres. Son esprit voyageait, à travers les mers, vers New York. Là-bas, une femme qu’il admirait. Ici, une femme qui l’accommodait. Au fond, on a bien que ce qu’on mérite. Avait-il jamais été à sa hauteur à elle ? Rapidement, un petit garçon vint à naitre. Flavien. Unique bonheur de sa mère, elle devint rapidement obsédée par sa progéniture. Après tout, cet homme l’aimerait bien plus que son mari ne le ferait jamais. Mais un père n’est rien sans sa petite fille. Paloma naquit, deux ans plus tard. Après tout, cette femme l’aimerait bien que plus son épouse ne le ferait jamais. Enfant née d’un arrangement, Paloma grandit, tourmentée par les démons familiaux. Fascinée par les contes de fées, elle était persuadée d’être le fruit d’une telle relation. Si elle était là, c’est bien qu’ils s’étaient aimés, non ? L’histoire termine toujours par : « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». 

Et puis, un jour, vers ses 14 ans, alors qu’elle jouait avec les enfants d’amis de ses parents dans leur propriété basque, elle tomba et s’ouvrit le genou. Elle rentra en vitesse à la maison, cherchant un pansement. Elle monta à l’étage, l’étage des chambres, de la salle de bains. Agenouillée devant le placard, elle agrippa le produit antiseptique, s’en aspergea la jambe. Puis elle se mit en quête de sparadraps, lorsqu’elle entendit du bruit dans le couloir. Des murmures, des bruits de baiser. Flavien avait-il enfin réussi à chopper la fille des Dumassy ? Mais la voix qui lui parvenait était plus sourde, plus grave que les trémolos pas franchement viriles de son adolescent de frère. Rapidement, elle identifia la voix. C’était celle de son père. Tiens, c’était pour le moins étonnant. Ses parents ne s’adonnaient jamais à un déballage d’affection, même en famille. Tout au plus un « mon chéri, ma chérie » par-ci, par-là. La scène avait un côté presque rassurant pour son imaginaire de petite fille. Ainsi, même après 20 ans de couple, on peut toujours être attiré par sa moitié ? Son étonnement fut de courte durée. Sa mère fumait. Comme un pompier. Et avait développé avec le temps une voix particulièrement rauque et déplaisante, qui ne ressemblait en rien à la douce voix suave qui lui parvenait à travers les murs. Catherine Dumassy. Cette femme la fascinait. Très douce, elle avait créé avec elle un lien qu’elle n’avait pas avec sa mère. Sa mère ne se préoccupait que d’elle, et de Flavien. Sa mère ne se préoccupait que de ses amis, de ses sorties, et n’avait jamais le temps de rien. Catherine leur préparait toujours des petits plats. Catherine la consolait lorsqu’elle pleurait. Catherine l’avait emmené chez l’esthéticienne se faire les ongles. Catherine l’avait emmené acheter une robe pour le bal de fin d’année. Sa mère refusait catégoriquement tout accès à son placard, de peur qu’elle ne tâche tout. Mais Catherine se tapait son père. Le conte de fées s’effondra. En réalité, les choses étaient peut-être mieux ainsi. Catherine était une bien meilleure mère que sa mère. En fait, Catherine pourrait devenir sa mère. Oui, c’était parfait. 

Naturellement, le divorce vint rapidement. C’est son père qui le demanda. Catherine était un bon compromis : elle aussi était issue de la bourgeoisie. D’une famille moins renommée que son épouse, mais tout de même. Il voyait en elle des qualités de mère qu’il ne voyait pas en son épouse, du moins, pour sa précieuse Paloma. Et puis le divorce était à la mode, cela devrait ravir sa future ex-femme. Catherine était une hôtesse exemplaire, toujours aux petits soins de ses invités, là où son épouse se contentait de voguer de restaurant en restaurant. Catherine lui vouait une admiration sans bornes. En réalité, il n’avait jamais vraiment compris ce qu’il pouvait bien apporter à son épouse. Catherine l’aimait, réellement. Et Catherine acceptait généreusement de partager sa couche, ce que son épouse ne faisait que rarement depuis quelques années. C’était même plus que ça : Catherine se donnait entièrement à lui. Entièrement. Il quitta la demeure familiale de Neuilly de son épouse, pour trouver un appartement confortable à Passy. Catherine y emménagea de suite. Son épouse, prétextant une retraite quelconque dans un endroit paradisiaque ne réclama pas la garde des enfants. Ce fut probablement la seule chose qu’il admira jamais d’elle : enfin, elle avait pris conscience qu’un enfant capricieux ne peut pas élever d’autres enfants capricieux. Il avait sous-estimé les sentiments de sa femme : le divorce l’avait bien plus atteint que ce qu’il ne pensait. Les enfants semblaient relativement épargnés. Paloma à vrai dire était plutôt heureuse de ce changement. Enfin, elle allait voir ce à quoi l’amour ressemblait vraiment. Pauvre enfant. Elle n’avait pas compris que l’amour n’était absolument pas de la partie. Du moins, pas celui des contes de fées. Catherine, si bonne hôtesse, ne sembla bientôt réduite plus qu’à ce rôle. Son père la définissait d’ailleurs de cette façon : « elle cuisine très bien ». Aigrie, Catherine en vint à envier l’amour qui liait le père à sa fille, et à ainsi détester Paloma. Ratée, Paloma. Tu n’auras jamais de vraie mère. Seulement un père. Et son père fut ravi d’endosser les deux rôles. Enfin, il représentait tout pour une femme. Une femme qui ne lui ferait jamais d’ombre. Une femme qui lui serait entièrement dévouée. Fut-elle sa fille. 

Paloma grandit encore. Façonnée par son père, Paloma fit absolument tout ce qu’il attendait d’elle. Tout. La grande école de commerce, la finance, le plan de carrière tout tracé. Dans ses relations toutefois, les choses étaient beaucoup plus chaotiques. Quand bien même son corps était celui d’une femme, elle n’était restée que la fille de son père, et par son côté enfantin et capricieux, la fille de sa mère. Tout n’était qu’un jeu pour elle. Les seules valeurs acceptées et acceptables étaient celles qu’il lui avaient transmises. Papillonnant au gré de ses envies et de son besoin démesuré, croissant et insatiable d’être aimée, elle n’était fidèle qu’à son père, méprisant ami.es et amants. Sans jamais réaliser qu’elle et elle seule pouvait s’apporter cet amour dont elle était désespérément en demande. Une fois pourtant, elle avait entamé ce chemin. Pour une fois, elle avait pris un autre chemin que celui tout tracé par son père. Elle avait arrêté la finance, et était partie vivre dans la villa de Bidart. Elle adorait cet endroit. L’océan, le monde semblait s’offrir à elle. Déterminée, elle avait décidé de prendre soin d’elle. Et des autres aussi, pourquoi pas. Ça la changeait de son quotidien égocentré parisien. Pourquoi pas devenir professeur de yoga ? Et partager son expérience à travers du coaching de vie ? Oui, pour une fois, elle allait vivre. Pour elle. Formation après formation, elle s’engagea corps et âme dans ce nouveau chemin. Seule, elle s’efforça de faire des rencontres, de bâtir quelque chose, par elle-même. Et la vie lui offrit une opportunité, en la personne d’un homme. Un homme qui la cajola, qui la réconforta, qui la prit sous son aile. Pourtant, ce n’était pas franchement l’homme auquel elle s’attendait. Surfeur de renom, il était connu pour son côté séducteur. Il était tout l’opposé des hommes qu’elle avait fréquenté jusqu’à maintenant. Un peu bohème, obsédé par l’océan, ils avaient finalement beaucoup plus de centres d’intérêt que ce qu’elle pensait. Un instant, elle y crut. Vraiment. Le conte de fées était-il vraiment possible ? Pouvait-elle vraiment y croire ? Non. Elle le savait. Elle l’avait vu, dans son enfance. Ce ne sont bien que des contes, ça n’existe pas dans la vraie vie. Alors, elle y renonça. Ou plutôt, elle refusa d’y croire. Croire demande du courage, même quand tout semble nous prouver le contraire. Courage qui vient du mot « coeur ». Encore faut-il s’y autoriser l’accès. C’est bien ce qu’on voit dans les contes de fées non ? Quand les situations semblent les plus désespérés, les personnages ont un accès de courage. Et ça fonctionne. 

Enfin, toujours est-il que Paloma, elle, n’y crut pas. Son père avait raison : on n’a que ce qu’on mérite. Ou plutôt ce que l’on pense mériter. Quelques jours plus tard, l’homme partit surfer. Mais des courants puissants se levèrent. La baïne l’emporta au large. Son corps ne fut jamais retrouvé. Lorsqu’elle apprit la nouvelle, son coeur se rappela un instant à elle. Mais c’était trop tard. Parti, il était parti. Pour de bon. Enfant de l’océan, l’océan l’avait repris. Heureusement qu’elle n’y avait pas cru. Rassurée par son manque de foi, Paloma retourna, elle, à sa vie de caprices, Daisy Buchanan réincarnée, goûts vestimentaires exceptés, prête à dispenser sa prétendue sagesse. 

Overthink a Minute

Par Zoé André