10.07 : Hermanito

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Overthink a Minute
3 min ⋅ 10/07/2025

J’avais à peine deux ans quand mes parents m’ont imposé l’arrivée hivernale d’un nouvel arrivant dans la villa. Tout fripé, tout blond, seulement capable de sucer son pouce, dormir et prendre la place que j’occupais parfaitement seule dans le coeur de nos parents. Moi qui aurais préféré avoir Pikachu comme compagnon de jeu, me voilà avec un bébé. Telle est la dure place de l’ainé : du jour au lendemain, alors qu’on commence enfin à être plutôt sympa, à jouer, à rigoler, et à parler, voilà que nos parents nous préfèrent un poupon geignard et dormeur. Et on se demande ensuite pourquoi on ne se sent jamais assez… Et pourtant, sans savoir vraiment à quel instant, on finit par s’attacher à cette douce créature. Jusqu’à le considérer, malgré nos deux petites années d’écart, comme mon bébé. Titou, d’aussi loin que je m’en souvienne, c’est mon enfant. Mon bébé. Mon sang. J’ai mis du temps à mesurer à quel point il était la plus belle chose que mes parents aient jamais faite (en dehors de moi), le plus beau cadeau qu’ils aient pu me faire. Même s’il ne lance pas des éclairs en criant « Pika Pika ». Non. Titou ne range rien, mangerait ton bras droit sans hésiter même si tu crèves de faim à côté, a (enfin) un gout vestimentaire impeccable après des années et des années de formation forcée, dispose d’un sens de l’organisation très relatif, râle tout le long des randos vélo, est capable de passer une semaine de vacances le cul vissé à un transat, joue de la guitare même quand tu lui hurles d’arrêter, enchaine les relations comme il change de caleçon. Mais ce n’est pas tout : c’est aussi celui qui peut palabrer sur l’Etranger de Camus, le Dorian Gray de Wilde aussi bien que sur les mémoires de Kurt Cobain, peut se chauffer à faire des gaufres avec une moue sexy, me change les pneus de mes vélos avant que je ne parte, se tape des heures de route pour venir me voir, sans même qu’on se parle, me ramène à la maison quand je me sens pas, partage ma fascination pour la filmographie de Wes Anderson, et qui prétendre me battre aux jeux de culture G. Et si je ne peux pas vivre avec, je ne peux pas vivre sans lui. A jamais le seul témoin de toutes mes vies. Et moi des siennes. 

Aujourd’hui, mon bébé s’envole. A 10 000 km de moi. Tout ça pour aller voir des koalas pendant un an. Un an, c’est long. Ce n’est pas du tout ce que j’avais en stock pour lui. Une fois de plus, il faut accepter de ne pas gérer la vie des autres. Miséricorde, je suis mal née. J’aurais du naitre Dieu. Je l’aurais forcé à rester pas loin. A l’heure où je m’installe enfin, lui s’en va. Sans me demander mon avis. Avec un simple « plus rien ne me retient ici ».  Un instant, j’ai hésité. Hésité à lui dire : « Ben si moi ! ». Moi, j’ai besoin de toi. Besoin de ta présence en ligne de mire. C’est peut-être le dernier lien de mon ancienne vie dont j’ai du mal à accepter l’évolution. On vogue, chacun, vers nos petites expériences.  Mon égoïsme n’a heureusement pas franchi mes lèvres. Après tout, moi aussi, à un moment, je suis partie. Je ne lui ai rien demandé. Je me suis régalée. Posée beaucoup de questions. Eté au fond du trou. J’ai grandi. Et c’est tout ce que je lui souhaite. Même à l’autre bout de la planète, ça ne l’empêche pas de faire partie de moi. Je vous souhaite d’avancer aux côtés de vos témoins de vie, qu’ils soient de sang ou pas. 

Overthink a Minute

Par Zoé André